Dans la nuit du 17 mai 1978, en bordure du lac de Genève, la pluie tombe devant les phares allumés d’une concentration de voitures de police. Éclairée par les véhicules, une équipe de policiers, détecteurs de métaux à la main, quadrille un champ de maïs.

– Bon sang ! Vous avez intérêt à vous en rappeler et vite fait!
– Mais dans l’noir comme ça, j’vous dis que je m’y repère pas! C’est dans le coin!
– Arrg! Imbécile! Allez les gars on avance…

L’inspecteur principal demande à ses hommes de poursuivre les recherches. L’homme qui est censé les guider ne sait plus où il l’a caché. Mais caché quoi au juste?
Un cercueil! Il l’a dérobé a son cimetière d’origine et est venu l’enterrer ici, dans ce champ de maïs. Ce pilleur de tombe est un jeune réfugié polonais de 24 ans nommé Romand Wardas et son complice bulgare qui lui a prêté main forte G. Gantcho, 38 ans. Ils viennent d’être arrêtés et amenés ici par la police pour récupérer le cercueil. Mais il fait nuit et ils ne retrouvent pas l’endroit exact…

Soudain, bip bip bip bip! Les détecteurs de métaux se regroupent, les hommes creusent la terre. Quelques minutes plus tard, une des pioches cogne le bois de la bière. On remonte le cercueil à la surface. Les torches convergent. Le juge d’instruction, qui a connu la personne a l’intérieur, s’approche pour valider que c’est bien le corps de celui qu’on recherche. On ouvre le couvercle et, dans le faisceau des lampes, apparaît Charlie Chaplin!

Quatre mois et demi plus tôt, le 27 décembre 1977, mourait à l’âge de 88 ans l’acteur le plus célèbre du monde, Charles Chaplin. Il fut enterré dans le cimetière de Corsier-sur-Vevey, en Suisse.

Non loin de là, dans la ville de Lausanne, notre jeune polonais, garagiste de métier mais au chômage, regarde la télévision. Il y voit comme tout le monde les obsèques de Charlot. Il voit sa femme, Oona, qui va rentrer veuve dans le manoir familial de 1150 m²… Huumm… Une idée sordide est en train de naître dans son esprit… Il a entendu parler récemment de cette histoire où on a volé le corps d’un industriel italien pour récupérer une rançon…

Les images de la télévision repassent en boucle dans son esprit: un manoir, une famille riche, un mort… Il monte chez son voisin du dessus,un garagiste bulgare de 38 ans de type armoire à glace, lui aussi désespéré.

– Gantcho! On va ouvrir notre propre garage! Et on va être riches!

Il explique son plan à son ami perplexe…

Deux mois plus tard, dans la nuit du 2 mars, nos deux larrons montent dans leur camionnette et roulent vers Corsier-sur-Vevey. Arrivés sur les lieux, tout est calme. Pas de gardien en vue, le cimetière est éclairé par quelques lampadaires et les deux compères se mettent en chasse de la tombe de l’acteur. Elle est là! Ils creusent, trouvent le cercueil, le remontent, le chargent dans la camionnette et filent à vive allure à Lausanne, laissant derrière eux un trou béant…

C’est autour de ce trou que le lendemain, inspecteurs, policiers et journalistes restent bouches bées! Pour la police et l’inspecteur principal de l’affaire, Jean Paccaud, la question est: qui a fait ça? Et, bien sûr, comment lui mettre la main dessus?! Pour les journalistes et l’opinion, c’est plutôt: Pourquoi? La famille de l’acteur est consternée. Plusieurs théories apparaissent alors: seraient-ce des fans qui souhaitent ramener la dépouille en Angleterre? Sont-ce des extrémistes chrétiens qui ne veulent pas d’un Juif dans le cimetière? Chacun a son idée mais personne n’a encore pensé à la demande de rançon… jusqu’à ce que le téléphone sonne au manoir de la famille Chaplin.

Romand, qui se fait appelé Rochat, explique qu’il détient le corps et que pour le récupérer, la famille devra cracher au bassinet pas moins de 600.000 francs suisse! Oona refuse de négocier. Elle explique que son mari est avant tout dans son cœur et que lui-même aurait trouvé cette situation complètement stupide! Mais Rochat ne lâche rien et rappelle plusieurs fois pendant plus d’un mois et demi. Il envoie des photos du cercueil, menace même la famille de mort! Grâce aux nombreux coups de fil, la police suisse réussit à localiser l’appel: le malfrat appelle d’une cabine téléphonique de Lausanne… Mais laquelle? Pour piéger cet individu sans foi ni loi, les inspecteurs demandent à Géraldine, la fille de Chaplin, de jouer le jeu avec la crapule et de feindre d’accepter de verser la somme de 150.000 francs.

C’est pour cela qu’elle demande à ce brigand de Romand de rappeler le lendemain à 9H30 précise, lui faisant miroiter un accord.
Il accepte.
Parfait! Le piège à rat fonctionne…

Le lendemain, 9h15, deux agents sont postés en embuscade à un jet de pierre de chaque cabine téléphonique de la ville de Lausanne (plus de 240!). Qui aura la bonne pioche? 9h25, chaque agent est à l’affût, sera-t-il celui qui aura l’insigne honneur d’arrêter le suspect? De nombreuses personnes vont et viennent des cabines, mais on attend patiemment que le téléphone sonne au manoir… Driiiing !

– Oui, allo?
– C’est Rochat! Il est 9h30 comme convenu. Donc on est bien d’accord! Vous amenez les 150 000 francs et je vous… *HEY !! MAIS LÂCHEZ-MOI !!*

Deux agents empoignent l’homme, le font sortir de la cabine et l’emmènent manu militari à l’interrogatoire! Il ne tarde pas à dénoncer son complice et conduit les policiers jusqu’au champ de maïs où Chaplin est enterré, à Noville, prés du lac de Genève.

Les deux pillards étaient de vrais amateurs. L’avocat d’Oona Chaplin dira plus tard:

« Si nous avions négocié plus, nous aurions récupéré le cercueil pour 50 francs! »

Charlie Chaplin est a nouveau inhumé dans le cimetière de Corsier-sur-Vevey (où sa femme l’a maintenant rejoint), enterré cette fois-ci sous deux mètres de béton! Histoire rocambolesque et burlesque pour un acteur qui aurait sûrement pouffé de rire face à un tel scénario. Le grand Charlot dans un champ de maïs!

(le film La Rançon de la Gloire est d’ailleurs sorti en 2014 sur ce thème…)
(ne vous ruez pas dessus, c’est pas non plus le film de l’année…)

Le fils de Chaplin, Eugène, confiera plus tard en parlant du champ où son père a passé deux mois:

Le corps se trouvait dans un endroit réellement magnifique. Un champ de maïs. Au point, je l’avoue, que nous n’étions pas loin de regretter qu’on l’ait retrouvé, tant il était bien là-bas.