L’affaire des poisons, ou l’incroyable scandale à la cour de Louis XIV
En fait, il n’y a pas une seule affaire des poisons, mais bien deux, qui se déroulent de 1666 à 1682, une des périodes les plus brillantes du règne de Louis XIV. Qui pourrait imaginer que la France d’alors, auréolée dans l’Europe entière par ses victoires militaires (guerre de dévolution, guerre de Hollande), abrite un vaste réseau de mages, de sorcières et de prêtres sataniques s’adonnant allègrement aux messes noires et aux sacrifices humains? Personne!
Pire! Le peuple apprend, médusé, que nombre de ces criminels, de ces empoisonneurs diaboliques, évoluent parmi l’entourage le plus proche du roi-Soleil…
Retour sur l’un des plus grands scandales de l’Histoire de France.
Acte I: le couple diabolique
Marie-Madeleine Dreux d’Aubray aurait tout pour être heureuse. Fille du lieutenant à la prévôté de Paris (l’équivalent de notre gendarmerie actuelle), elle épouse le marquis de Brinvilliers qui lui donne 5 enfants. Mais la belle ne se contente plus de son mari vieillissant et, dotée d’un solide appétit sexuel, aime se faire « lutiner la corbeille », comme on disait alors joliment, par un certain Jean-Baptiste Godin de Sainte-Croix, un officier de cavalerie passionné d’alchimie.
Mais la liaison adultérine des deux tourtereaux finit par s’ébruiter et le père de Marie-Madeleine, de peur qu’un scandale vienne souiller le nom familial, fait enfermer pendant six semaines le malheureux amant à la Bastille (être à la tête de l’autorité judiciaire permet d’obtenir facilement ce genre de traitement inique!).
Sous couvert de visites caritatives, elle administre en cachette des poisons aux patients des hôpitaux parisiens pour affiner les bons dosages…
Sainte-Croix partagera sa cellule avec l’empoisonneur italien Exili qui lui enseigne tous ses secrets. Le bougre à de l’expérience, il a empoisonné la belle-sœur du Pape Innocent X en personne! Dosage de l’arsenic, bon usage de la bave de crapaud,… la science des poisons n’a bientôt plus aucun secret pour Sainte-Croix. A sa sortie de prison, il retombe dans les bras de Marie-Madeleine. Qui des deux aura le premier l’idée d’empoisonner toute la famille Dreux d’Aubray pour faire main-basse sur la fortune familiale? Mystère. Mais ce qui est sûr, c’est que Marie-Madeleine est celle qui se prend le plus au jeu. Sous couvert de visites caritatives, elle administre en cachette des poisons aux patients des hôpitaux parisiens pour affiner les bons dosages…
En 1666, leur poison est fin prêt. La marquise de Brinvilliers accomplit sa basse besogne consciencieusement et empoisonne son père qui meurt dans d’horribles souffrances. Néanmoins, l’autopsie conclut à une mort naturelle et Marie-Madeleine peut s’attaquer au deuxième de sa liste: son mari! Étrangement, après lui avoir fait ingérer le poison à plusieurs reprises, la belle se prend de pitié pour son mari et ne va pas au bout de son forfait.
Elle qui n’a pas encore touché l’héritage de son père, n’a pas du tout l’intention de partager avec le reste de sa famille… Nous sommes en 1670 et la marquise vient tout juste de liquider ses deux frères. Quant à sa sœur, cela ne saurait tarder…
Les dissensions entre les deux amants commencent, et bientôt une méfiance mortelle s’installe.
Mais Marie-Madeleine commet une grossière erreur. Vivant au-dessus de ses moyens, elle dépense sans compter et se trouve très vite endettée jusqu’au cou. Son principal créancier n’est autre que… Sainte-Croix, son diabolique amant! Les dissensions entre les deux amants commencent, et bientôt une méfiance mortelle s’installe. Après tout, la marquise n’est plus à un meurtre près et Sainte-Croix commence à craindre pour sa vie. Pour se protéger, il constitue un dossier accablant pour Marie-Madeleine Dreux d’Aubray, réunissant des lettres, des reconnaissances de dettes ainsi que de petites fioles du poison utilisé par sa maîtresse. C’est son assurance-vie, en quelque sorte. Il prend les dispositions qui s’imposent et en informe Marie-Madeleine: qu’elle s’avise à le faire passer de vie à trépas et le dossier ira illico entre les mains de la police!
Ce que Sainte-Croix n’avait pas prévu, c’est qu’il mourrait de mort naturelle moins de deux ans plus tard! Et le piège qu’il a créé se referme involontairement contre l’empoisonneuse…
La Marquise de Brinvilliers passée à la question, elle avouera ses crimes peu de temps après
Se sachant bientôt perdue, Marie-Madeleine fuit à l’étranger, mais est finalement rattrapée en 1676, aux Pays-Bas, par les troupes françaises. Elle avait été condamnée à mort par contumace trois ans plus tôt … mais cette condamnation à la peine capitale ne la dispense pas d’un passage à la question en bonne et due forme! Attachée nue sur une table de torture, les bras en croix, on lui fait avaler une petite dizaine de cruches d’eau. Elle finit par avouer ses crimes. D’un coup d’épée, le bourreau finit par lui trancher la tête.
C’est la Marquise de Sévigné qui parlera de la scène de la façon la plus éloquente qui soit:
« Enfin, la Brinvilliers est en l’air. Son pauvre petit corps a été jeté, après exécution, dans un fort grand feu et les cendres au vent, de sorte que nous la respirons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés. »
La Marquise ne pensait pas si bien dire, car la seconde affaire des Poisons va bientôt horrifier l’Europe entière…
Acte II: Horreur et damnation!
C’est par le plus grand des hasards que l’affaire rebondit trois ans plus tard. A partir d’un billet anonyme qui atterrit sur le bureau de l’enquêteur La Reynie, un certain abbé Nail est accusé de meurtre. Les aveux ne tardent pas à tomber: oui, il est l’amant de Madeleine de la Grange, la veuve d’un receveur des impôts. Oui, il a réalisé un faux contrat de mariage entre Madeleine et Maître Faurie, un avocat au Grand Conseil. Oui, enfin, il a empoisonné Maître Faurie peu de temps plus tard pour permettre à Madeleine de capter son héritage… A-t-il commis ces crimes pour l’argent? Non! C’est l’amour qu’il voue à Madeleine qui a guidé ses actes diaboliques.
Mais l’interrogatoire de l’abbé perce à jour une véritable organisation du crime. Les révélations s’enchaînent à une cadence infernale au rythme des arrestations. Comtes, chevaliers, marquis, avocats,… tous ont recours à un vaste réseau de trafic de poisons incluant fournisseurs de matière première, chimistes ou encore médecins. Les ramifications de ce réseau criminel sont telles que Louis XIV en personne décide de la création d’un tribunal spécial en mars 1679: la Chambre ardente.
Au cœur de ce « réseau des impiétés », comme on l’appelle maintenant, une femme sort du lot: Catherine Deshayes, épouse Monvoisin, dont l’Histoire se rappellera sous le nom de « La Voisin ». Cette dernière commence sa carrière criminelle en se spécialisant dans les poisons. Et la bougresse à plus d’une corde à son arc! Arsenic, ciguë, opiacés, ou même acide prussique et vif argent… elle offre un vaste choix de « solution » à ses clients de plus en plus nombreux. Afin d’étoffer son offre et diversifier ses activités, elle se lance bientôt dans l’organisation de messes noires. Célébrées par ses complices l’abbé Guizbourg et le mage Lesage, les cérémonies sataniques étaient parfois assorties de sacrifices de jeunes enfants égorgés au-dessus du corps nu de l’officiant…
L’affiche du film l’Affaire des Poisons d’Henri Decoin, 1955
Les enquêteurs sont abasourdis. Au total, plusieurs centaines de criminels (la plupart des clients de La Voisin) sont arrêtés et enfermés à la Bastille, en attente de leur exécution.
Le 22 février 1680, La Voisin est brûlée en place de Grève, face à l’Hôtel de ville de Paris, sous l’accusation de sorcellerie et d’empoisonnement.
Acte III: La Montespan, célèbre maîtresse de Louis XIV, accusée!
La fille de La Voisin, complice elle aussi du réseau criminel, raconte même aux enquêteurs que Madame de Montespan en personne s’offrit les services de sa mère pour s’attirer les bonnes grâces de Louis XIV, qui n’avait alors d’yeux que pour Mlle de la Vallière… L’abbé Guizbourg confirme et dit même avoir sacrifié cinq enfants au cours de messes noires célébrées par Mme de Montespan, pour que celle-ci obtienne « l’amitié du roi » dans un premier temps puis, carrément, qu’elle devienne « reine de France ». On peut bien sûr douter de ces accusations, difficile qu’il est dans cette affaire de séparer les faits des fantasmes populaires… il est fort probable, en revanche, que la Montespan ait fait absorber au roi quelques philtres d’amour fournis par La Voisin…
La Voisin, la sorcière au cœur de l’affaire des poisons
Informé des accusations portées à l’encontre de sa maîtresse, Louis XIV la délaisse quelque peu, mais la garde dans son entourage proche. C’est dire que lui-même ne croit pas un mot de tout cela. Mais, pour étouffer le scandale, le roi ordonne la dissolution de la Chambre ardente et met au secret les accusés. Il promulgue l’édit de juillet 1682 qui punit de mort les crimes des sorciers et régule l’utilisation des substances toxiques. En trois ans, 442 jugements en lien direct avec l’affaire auront été prononcés, dont 36 condamnations à mort, 23 bannissements et 5 condamnations aux galères. Qui dit mieux?
Louis XIV a maintenant d’autres chats à fouetter et peut se changer les idées en se baladant dans les couloirs du château de Versailles dans lequel il vient tout juste d’emménager…
Et pour ceux qui veulent prolonger le plaisir et découvrir les rouages de la Justice sous Louis XIV, je vous conseille la lecture de L’affaire des Poisons de Jean-Christian PETITFILS.
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Un article comme je les aime.
You made my day! 🙂
La Montespan a-t-elle, oui ou non, pratiqué des messes noires pour revenir dans la faveur de Louis XIV? La question reste entière et je crois savoir qu’il n’y a toujours pas consensus sur le sujet.
Mais je ne pense pas que le fait que Louis XIV ait gardé la Montespan à la Cour puisse nous faire penser qu’il ne croyait pas les accusations. Il fallait au contraire qu’il fasse bonne figure pour éviter un énorme scandale. C’est aussi pour cela qu’il a demandé que l’on jette au feu tous les documents de l’enquête qui reliait sa favorite à l’affaire, au grand dam des historiens d’aujourd’hui…
Tous les documents ne furent pas brûlés. La Reynie a gardé un double des interrogatoires et ses notes personnelles. C’est ce que déclare Alain Decaux a André Castelot en 1960 dans la série de l’ ORTF, « La Camera Explore Le Temps »; « Le Drame des Poisons ». Cet épisode est accessible sur Youtube ou directement sur INA France. J’ ai acheté la série et c’est en regardant a nouveau cet épisode afin de me rafraîchir la mémoire que je peux vous dire, précisément, ce que j’ ai entendu. Ces papiers sont a la Bibliothèque Nationale, au département des manuscrits, déclare Alain Decaux a la camera. C’est a partir de ces écrits que le film mets en scène les principaux participants de ce drame. J’ai visité Wikipedia et cherché « L’ Affaire des Poisons » qui ne mentionne même pas cette émission. J’ai aussi cherché « Etienne Guibourg » ou j’ ai eu plus de chance car cet article donne des détails sur les trois messes noires qui concordent assez bien avec ce qui est décrit dans l’ émission télévisée. Comme j’aurais aimé que ces deux historiens combinent leurs recherches pour publier un livre qui aurait éclairer les mystères qui continuent d’entourer cette affaire.
A l’époque, quand il était question de scandale d’Etat, il rigolait pas les mecs!
Si un scandale pareil existait dans notre société actuelle, on en entendrait parler tous les jours sur tous les medias!
Très intéressant et bien raconté!
Depuis la Rome antique, les poisons sont souvent au coeur d’intrigues historiques!
Que l’on pense à Locuste qui ingurgitait chaque jour un peu de poison pour en être immunisé et qui a à son actif l’empoisonnement de l’ empereur Claude et de Britannicus, sur les ordres d’Agrippine, la mère de Neron!
Ou à l’empoisonnement de Napoléon ou de Raspoutine!
En passant par Paracelse, médecin du XVIe siècle, qui affirmait : « Tout est poison, rien n’est poison. C’est la dose qui fait le poison. »
Une affirmation à mettre en relief aujourd’hui avec la malbouffe et la surmortalité qu’elle génère! (merci McDo et consorts…)
Je ne savais pas que Locuste se mithridatisait!
Vous n’avez pas évoqué le roi Mithridate VI, qui, pour se protéger d’un empoisonnement, absorbait des poisons en petite quantité pour s’immuniser. Lorsque son royaume fut renversé par Pompée et qu’il voulut se suicider en avalant du poison, il n’y parvint pas… la tuile!
Le terme de mithridatisation est resté pour décrire le processus d’immunisation suite à l’ingestion de poison en petite quantité!
C’est vrai… on peut ajouter à la liste les Borgia, dont le pape Alexandre VI et son fils César qui furent impliqués dans différents empoisonnements.
Bref. La liste est longue!