[Monuments de Paris] La plus vieille horloge de Paris…
Accrochée au mur de la tour d’angle du Palais de la Cité au carrefour du Boulevard du Palais et du Quai de l’Horloge, à deux pas de la Sainte Chapelle, elle passerait presqu’inaperçue au promeneur qui ne lèverait pas le nez. « Elle » ? L’horloge du Palais de la Cité, bien sûr !
Deux mots sur le Palais de la Cité en lui-même, d’abord: ce fut une résidence royale pendant des siècles. D’abord austère citadelle, il fut aménagé confortablement au fil du temps, en particulier par Philippe le Bel au tout début du XIVème siècle.
Entre 1350 et 1353, pour renforcer la défense du palais, Jean II le Bon fit édifier en sa partie nord-est une tour de 47 mètres surmontée d’un beffroi, lui-même dominé par un lanternon. Ce beffroi servait de guet et comportait une cloche pour sonner l’alarme. Surnommée « le tocsin du palais » on la faisait tinter dans les grandes circonstances telles que la mort d’un roi ou la naissance de son fils aîné.
Le palais fut délaissé en tant que résidence principale par Charles V en 1360 qui lui préféra le Louvre. C’est peut-être pour consoler les habitants de cet abandon, qu’il fit réaliser sur cette tour la première horloge publique de Paris. Le beffroi ne fut pas en reste: il fut agrémenté d’une cloche en argent.
Nous sommes en 1371 et ceci est le début de mon histoire!
Moi, l’horloge du Palais
Je fus engendrée par un horloger lorrain, Henri de Vic. Mon cadran fut restauré à plusieurs reprises: d’abord en 1472 pour mes 54 ans (un âge déjà respectable !) puis un siècle plus tard, en 1585, à la demande d’Henri III.
Ce dernier fit apporter des modifications substantielles qui me rendirent, disons… plus attrayante. Outre un nouveau cadran, il m’orna, sur les côtés, de deux statues, figures allégoriques représentant la Loi (avec sceptre, tablette et faisceau de licteur) et la Justice (avec balance et épée), toutes deux réalisées par Germain Pilon, un des plus grands sculpteurs de la Renaissance française.
Imaginez un peu ma fierté!
Dès lors, deux épigrammes en latin complétèrent mon encadrement au-dessus et au-dessous:
« Celui qui lui a déjà donné deux couronnes lui en donnera une troisième »
C’est, si j’ai bien compris, une allusion à l’éphémère royauté polonaise d’Henri III en 1573, qu’il abandonna bien vite au profit de celle de France, à la mort prématurée de son frère Charles IX. La Pologne et la France sont d’ailleurs représentées par deux couronnes et leurs emblèmes bleu et rouge, sous la large couronne unique qui trône au sommet de l’horloge.
Et la troisième couronne mentionnée? Simple allusion à l’emblème de Henri III qui comporte trois couronnes avec comme devise: « La dernière se trouve au ciel »!
Le second épigramme indique: « Cette machine qui fait aux heures douze parts si justes enseigne à protéger la Justice et à défendre les lois ». Formule alambiquée (je vous le concède!) pour rappeler l’égalité de tous devant la Loi et la Justice…
On me fit une nouvelle beauté en 1685, date qui apparaît sur la décoration en bordure et au centre de mon auvent protecteur. J’en avais bien besoin, moi qui avais perdu mon éclat après des décennies – que dis-je, des siècles ! – exposée comme je l’étais aux outrages du temps et des intempéries.
Mais c’est la Révolution qui me fit le plus grand mal… Qu’on s’invective, qu’on se batte, qu’on se tue au pied de ma tour, passe encore. Mais qu’on s’en prenne à mon intégrité physique, là, je dis: non!
C’est pourtant bien ce qui se passa pendant cette période trouble: mes deux statues et mon cadran firent les frais de la haine aveugle et sourde qui s’était propagée en France. Quant à la cloche du beffroi, elle fut, ni une ni deux, envoyée à la fonte. Pensez donc, un métal aussi précieux!
Même si je n’en porte aujourd’hui plus aucune cicatrice, les souvenirs terribles de cette mutilation me hantent encore…
Je dus attendre 1849 – une éternité! – avant de me faire restaurer et que la cloche du beffroi soit remplacée.
Mon aspect actuel
En 2011 et 2012, on prit soin de mes rides ainsi que de celles de la tour sur laquelle je suis attachée. Noircies par la pollution, abîmées et décolorées par le temps, nous en avions bien besoin toutes les deux!
Ma tour est donc redevenue blanche, au moins pour un temps! Son sommet est désormais coiffé d’un clocheton abritant toujours une cloche, mais aussi d’une fine girouette. Décorations en fleurs de lys et girouette sont dorées à l’or fin.
Quant à moi, grâce aux archives de la Bibliothèque Nationale, on put me redonner mon visage de jeune fille. Dorures et peintures furent refaites, en particulier mon fond bleu azur lumineux, manteau royal parsemé de deux types de fleurs de lys dorées sur lequel mon visage ressort parfaitement. Pour ce que j’en sais, ces deux types de fleurs pourraient bien illustrer le changement de dynastie des Valois (Henri III) aux Bourbon (Henri IV).
Mes deux statues Loi et Justice ont pu ainsi retrouver leur fraîcheur. D’ailleurs, vous ne trouvez pas, vous aussi, que si la Justice est noble et un peu austère, la Loi, elle, en prend à son aise pour dévoiler sa jolie jambe gauche et se donner un air égrillard tout en esquissant une moue dédaigneuse!
Ah oui, et mes deux épigrammes sont redevenus lisibles, enfin!
Sur la face interne du petit toit qui me protège, apparaissent en doré les initiales entrelacées de Henri II et Catherine de Médicis (H et C dont un C inversé). L’ensemble forme ainsi deux D (normal et inversé) rappelant, sans en avoir l’air, l’initiale de la favorite du roi: Diane de Poitiers! On y trouve également, en alternance, les initiales H et M, référence à Henri IV et à sa première épouse Marguerite de Valois (aussi appelée la reine Margot).
Ma décoration est très riche et je ne ferai qu‘en citer quelques autres éléments: deux angelots qui présentent les couronnes et les emblèmes de France et de Pologne dans un calice de fleurs, un mascaron barbu au-dessus de mon cadran, deux sculptures féminines sur les supports de mon toit ou encore une tête d’ange ailé sous mon second épigramme.
Et bien sûr, je suis assez fière de mon cadran de forme carrée, d’un mètre et demi de côté… Orné au centre de rayons flamboyants dorés, qui rappellent sans doute l’emblème des Médicis, le soleil!
Mes aiguilles sont en cuivre bronzé. La grande aiguille se présente sous forme de fer de lance, tandis que la petite se termine en fleur de lys. Toutes les deux se trouvent prolongées à l’arrière par une « contre-aiguille » plus courte terminée par un croissant de lune. Poétique, non?
Ah! J’oubliais de vous dire que je ne fais pas seulement de la figuration et que, bien qu’étant, avec mes 650 ans tout proches, la plus vieille horloge de la capitale, je ne suis pas à la retraite pour autant: je donne toujours l’heure aux Parisiens et aux touristes qui vont et viennent à mes pieds!
De grâce, si vous passez sur mon trottoir, n’oubliez pas de lever les yeux ! Mais notez bien que vous pouvez aussi me voir d’un peu plus loin, depuis le Pont au Change. Sans me vanter, j’en vaux le coup!
Sources
Dictionnaire des rues de Paris – Jacques HILLAIRET – Editions de Minuit – Tome 1 (page 640)
Tour de l’horloge du Palais de la Cité: www.decouverte-patrimoine.fr
Le cadran de l’horloge du Palais de la Cité sur flickr.com
Article du Parisien (19 avril 2012) sur la restauration de l’horloge
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Un nouveau monument parisien ! Ca faisait longtemps ! 🙂
C’est très intéressant, merci beaucoup !
Je suis pourtant déjà passé dans ce coin mais je crois bien que je n’avais pas levé les yeux…
La prochaine fois, promis, je regarderai !!!
Bonjour « Petite » Horloge
Et dire que je suis passé de si nombreuses fois sans même savoir que tu existais …
Merci encore pour ces articles, riches en détails et toujours avec un parti pris original et vivant !
Je l’ai découverte depuis peu et, vraiment, je ne peux que vous inviter à la découvrir « en vrai », elle est magnifique !
Merci !
Et hop, un petit article sur #ETC avant d’aller se coucher !
Un suppo et au lit !! :p
Cette horloge injustement méconnue mérite le détour. Merci de la mettre en valeur ainsi.
Paris est une ville magnifique où des splendeurs, historiques et/ou artistiques se découvrent à chaque coin de rue…
On ne croirait pas, en la voyant, qu’elle est la plus vielle horloge de Paris !
La restauration est vraiment exceptionnelle…
Merci de consacrer du temps pour nous faire découvrir toutes ces choses intéressantes
À propos de culture générale : «épigramme » est un mot féminin.