Petite mise en situation énervante

– Même s’il est mené 6-0, 6-0 et 5-0 dans le dernier set, on peut vraiment dire que le Français est en train de dominer le match.
– Tout à fait Thierry, c’est dommage, son adversaire a vraiment profité d’erreurs d’arbitrage flagrantes.
– Aïe aïe aïe! Je vous coupe la parole Jean-Michel car voilà maintenant le Français mené 0-40 sur sa mise en jeu ce qui offre 3 balles de match au serbo-croate…
– Oui, tout à fait Thierry. On peut sans hésiter dire que les balles étaient trop neuves et le terrain trop humide. Le Français n’a pas démérité et il…

STOP ! ARRÊTEZ LE MASSACRE !

Quoi de plus énervant que tous ces discours chauvins qui pullulent dans les médias ou, parfois, dans notre entourage ? Ne peut-on supporter son joueur ou son équipe nationale sans être d’une mauvaise foi flagrante ? Vous vous en doutez, nous n’apporterons pas de réponse à cette question cruciale ici. Par contre, profitons-en pour analyser l’origine du mot « chauvin ».

Chauvin : Des origines littéraires

Le mot apparaît sous la plume d’un certain Eugène Scribe. Cet auteur français porte apparemment très bien son nom de famille, lui qui a écrit plus de 450 pièces de théâtre durant la première moitié du XIXe siècle.

Mais n’est pas Molière ou Racine qui veut… Même s’il connut un certain succès de son vivant, très peu de ses œuvres sont passées à la postérité. L’une d’entre elles s’intitule Le Soldat Laboureur (1821). Elle met en scène un soldat de l’armée de Napoléon qui se fait remarquer par son enthousiasme militaire sans faille. Blessé 17 fois lors de son service, il continue à clamer haut et fort son amour de sa patrie et son dévouement à l’Empereur Napoélon. L’excès de ses propos est tel qu’il en devient au ridicule…

Et devinez un peu quel est le nom de ce soldat exemplaire ? Je vous le donne en mille : Nicolas Chauvin !

La pièce eut énormément de succès à l’époque le nom de famille du héros se transforme en nom commun. Et voilà le mot chauvin qui fait son entrée fracassante dans le dictionnaire, désignant à l’origine un patriote belliqueux puis, partir de la moitié du XIXe siècle, une personne clamant haut et fort un patriotisme exagéré.

Le ressort comique du personnage de Nicolas Chauvin fonctionne tellement bien que les frères Cogniard, deux auteurs à succès, le reprirent à leur compte dix ans plus tard, dans leur pièce La Cocarde tricolore (1831).

Même Alphonse Daudet s’y met !

En 1873, Alphonse Daudet publie les Contes du lundi, recueil de nouvelles dont l’une d’entre elles s’intitule : « La mort de Chauvin ». Encore lui ! Cette fois, l’intrigue prend part non pas durant les guerres napoléoniennes mais durant la Commune de Paris.

Le cœur de Chauvin bondit : « Vive la France ! » cria-t-il en s’élançant au-devant des soldats. Sa voix mourut dans une double fusillade. Par un sinistre malentendu, l’infortuné s’était trouvé pris entre ces deux haines qui le tuèrent en se visant. On le vit rouler au milieu de la chaussée dépavée, et il resta là, pendant deux jours, les bras étendus, la face inerte.
Ainsi mourut Chauvin, victime de nos guerres civiles. C’était le dernier Français.

Alphonse Daudet, Les Contes du lundi, La Mort de Chauvin, 1873

Pendant ce temps-là, à la télé…

– Et voilà. Le Français vient de perdre le match sur une double faute.
– Oui, il a sûrement été déconcentré par le soleil qu’il a dans le dos. C’est dommage, il ne lui a vraiment pas manqué grand chose pour s’imposer dans ce 64ème de finale. Encore une occasion ratée !
– Tout à fait Thierry. C’est maintenant l’heure de rendre l’antenne. À vous, les studios !