Aliénor d’Aquitaine (1122 – 1204) est une des femmes les plus influentes de l’Histoire de France et d’Angleterre. D’une longévité incroyable pour l’époque (82 ans!), elle survécut à ses deux maris et à huit de ses dix enfants. En femme d’Etat avisée, elle accomplit de grandes choses, aussi. Retour sur la vie d’une femme au destin exceptionnel…

Une jeune femme très convoitée

Alors qu’elle n’a que 15 ans, le futur roi de France Louis VII la prend pour épouse. Il faut dire qu’elle est un fort bon parti: héritière des duchés d’Aquitaine, de Gascogne et du comté de Poitiers, ce mariage apporte à la Couronne de France un territoire immense! L’histoire pourrait s’arrêter là, Aliénor d’Aquitaine serait alors une reine parmi tant d’autres. Mais la médiocrité de son mari va lui permettre d’accomplir un destin exceptionnel…

Qu’on se le dise, Louis VII (dit « Le Jeune ») était un gros nul. Trouvons-lui néanmoins des circonstances atténuantes: fils cadet de Louis VI (dit « Le Gros), il était destiné à mener une vie religieuse, et reçut une éducation en conséquence. C’est son grand frère, le brillant prince Philippe, qui était censé reprendre les rênes du royaume. Alors, quand ce dernier meurt à la suite d’un regrettable accident avec un cochon (oui, oui), le jeune Louis est bien obligé d’embrasser une carrière d’homme d’état…

La première grande aventure de sa vie, Aliénor la vit à 25 ans: elle embarque avec son mari pour la deuxième Croisade (1147-1148). Traversée des déserts d’Orient, lutte contre la faim et la soif, peur d’être pris dans une embuscade turque… cette Croisade fut très éprouvante pour la jeune reine. Alors quand la troupe fait escale pour une dizaine de jours à Antioche (actuellement, à la frontière entre la Turquie et la Syrie) et qu’elle y retrouve son oncle chéri Raymond de Poitiers, Aliénor peut enfin souffler un peu. Les liens entre Aliénor et son oncle sont très forts. Trèèèès forts.
Mais vraiment très, très, très forts.

Elle a 26 ans, il en a 33.
Leurs retrouvailles se terminent… dans un lit.

C’est à partir de ce moment que Louis VII prend en grippe son épouse. Bien qu’il n’en ait pas la certitude, le mari a de sérieux doutes sur la fidélité d’Aliénor. Une violente dispute éclate. Louis VII prend une décision qui changera irrémédiablement le destin de la France et de l’Europe: il répudie son épouse.

Bien sûr, à l’époque, le divorce est quelque chose d’impossible… du moins en théorie. Il faut à tout prix trouver une raison valable aux yeux de l’Église. Ici, c’est le motif de la consanguinité entre Louis VII et Aliénor qui est retenu: l’arrière-grand-mère d’Aliénor était la petite-fille de l’arrière-arrière-grand-père de Louis VI. Bon, en terme de consanguinité, on a déjà vu pire dans les mariages royaux de l’époque, mais ce prétexte suffit à valider le divorce auprès de Majesté le Pape Eugène III.

En 1148, la deuxième Croisade s’achève et tout le monde rentre en France. L’annulation du mariage est prononcée le 21 mars 1152. Aliénor reprend sa dot bien sûr, et la Couronne de France est amputée de plus de la moitié de son territoire. #CoupDurPourLouis

Aliénor, franchement, vit plutôt bien ce divorce… On se demande même si ce n’est pas elle qui aurait manigancé tout ceci pour pousser Louis VII à lui rendre sa liberté. Ah! Les femmes…
Depuis quelques années déjà son regard s’était tourné vers l’Angleterre. Le Roi de France ne veut plus d’elle? Pas de problème, elle épousera le Roi d’Angleterre!

Et c’est ainsi que le 18 mai 1152, Henri Plantagenêt, futur Henri II d’Angleterre, la prend pour épouse… soit moins de deux mois après l’annulation de son précédent mariage! Mais on comprend l’empressement d’Henri: Aliénor lui apporte tout le Sud-Ouest du royaume de France. L’Angleterre obtient donc par alliance des terres, en France, qui sont sous la suzeraineté des rois capétiens. Vous les sentez venir, les GROS, très GROS problèmes? On touche ici du doigt l’une des principales origines de la guerre de 100 ans qui mettra l’Europe à feu et à sang deux siècles plus tard…

Aliénor n’a que 30 ans, et les plus grands défis qu’elle aura à relever sont encore devant elle…

Une reine fougueuse et dynamique… peut-être un peu trop !

Comme ils lui vont bien, ses nouveaux habits de reine d’Angleterre! Partageant son temps entre la Normandie, ses terres d’Aquitaine et l’Angleterre, elle passe la majeure partie de sa vie sur un bateau ou dans une carriole. Allant à la rencontre de « ses gens », elle administre ses terres comme une femme d’Etat moderne.

Et Henri II a une autre raison de se réjouir de sa merveilleuse épouse: c’est qu’elle enchaîne les grossesses! Sa lignée devient innombrable: Guillaume (1153), Henri (1155), Mathilde (1156), Richard (1157 – lui, c’est le futur Richard Cœur de Lion, le GENTIL), Geoffroy (1158), Aliénor (1161), Jeanne (1165), et Jean (1166 – lui, c’est le futur Jean sans Terre, le MÉCHANT).

Les années passent et Aliénor tente tant bien que mal d’allier sa vie de mère de famille à celle de reine.

[AVANCE RAPIDE]

C’est vers 1173 que les choses commencent à se gâter. Guillaume est mort depuis bien longtemps (à l’âge de trois ans), et les deux fils aînés (Henri et Richard) se chamaillent contre leur père: ils lui reprochent de ne pas leur laisser suffisamment de pouvoir. Ils ont 18 et 16 ans, diantre! Le temps est venu pour eux d’apprendre les ficelles du métier de roi. Aliénor prend le parti de ses fils et s’oppose ouvertement à son mari.
(Bon, en réalité, il y a de fortes chances pour que ce soit ELLE qui ait monté ses deux fils aînés contre leur père)

Plus qu’une simple querelle familiale, c’est une véritable révolte qui ébranle et divise le royaume. Louis VII de France (encore lui) se rallie aux deux enfants, ainsi que le roi d’Écosse. Trop c’est trop, Henri II reprend la situation en main: son fils Henri se rallie finalement à sa cause. Quant à Aliénor, il l’enferme dans ses appartements. Elle y restera captive pendant quinze ans. QUINZE ANS.
Quinze longues années où elle apprendra notamment, impuissante, les morts de ses fils Henri et Geoffroy.

Enfin, en 1189, son geôlier de mari meurt et c’est la libération. Aliénor a alors 67 ans. On pourrait croire qu’elle est sur la fin, épuisée par une dizaine de grossesses et par quinze ans d’enfermement. Mais non, pas du tout! En fait, il s’agit du premier jour du reste de sa vie…

Le nouveau roi d’Angleterre est le fils pour qui elle a toujours eu le plus d’affection… Le bon, le valeureux, le noble Richard cœur de Lion.

Une grand-mère encore très active !

Dès 1190, un an à peine avoir été couronné roi, Richard part en Croisade. Cette « troisième croisade » sera plus brillante que la deuxième qui fut menée, on s’en rappelle, par un piètre Louis VII. L’occasion pour Aliénor d’aller jusqu’en Sicile où Richard l’attend. Ce voyage lui permet de faire d’une pierre, deux coups: revoir sa fille Jeanne, devenue reine de Sicile et amener auprès de Richard une certaine Bérengère de Navarre, sa future épouse.

Après quelques semaines de bonheur familial sur la belle île de Sicile, les chemins de Jeanne, Richard et Aliénor se séparent: Aliénor rentre en Angleterre, Jeanne reste sur son île et Richard Cœur de Lion part tuer de l’Infidèle à Jérusalem…

De retour chez elle, c’est Aliénor qui gère les affaires du Royaume pendant l’absence du roi. Et elle a fort à faire! Son plus jeune fils, le fourbe Jean Sans Terre, souhaite profiter du départ de Richard pour s’emparer de la Couronne. Une mère ne devrait jamais avoir à empêcher un de ses fils de trahir l’autre…

Bientôt, un danger encore plus grand guette l’Angleterre: de retour de Croisade, le roi Richard est fait prisonnier par l’empereur d’Allemagne. Aliénor est scandalisée. Elle tente d’obtenir le soutien du pape, qui protège normalement les Croisés… sans résultat. L’empereur d’Allemagne réclame comme rançon une somme colossale de 150.000 marks d’argent: c’est l’équivalent de deux années de recettes fiscales d’un pays comme l’Angleterre! Aliénor parvient à réunir la somme demandée qu’elle apporte elle-même à l’empereur. Décidément, la reine qui vient de souffler ses 71 bougies n’a pas peur des longs voyages…

Richard Cœur de Lion installé de nouveau durablement sur le trône, Aliénor peut enfin s’accorder un peu de repos. Elle se retire dans l’abbaye de Fontevrault, pour une retraite bien méritée.

Hélas, le malheur va encore frapper…

1199, une année noire pour Aliénor

Le 25 mars 1199, Richard est atteint à l’épaule par un carreau d’arbalète lors du siège d’un château dans le Limousin. Il sait qu’il ne survivra pas à sa blessure et appelle sa mère à le rejoindre. Une dizaine de jours plus tard, Aliénor arrive au chevet de son fils à qui elle tient la main quand il rend son dernier soupir.

Richard avait 41 ans et surtout n’avait aucun héritier. La mort dans l’âme, Aliénor voit la Couronne d’Angleterre revenir légitimement à son fils cadet qu’elle méprise, le sinistre Jean sans Terre.

Quelques mois plus tard, c’est sa fille bien-aimée Jeanne, la reine de Sicile, qui rend l’âme suite aux complications d’un accouchement. De ses dix enfants, il ne lui en reste plus que deux : Jean sans Terre, nouveau roi d’Angleterre et Aliénor, reine de Castille.

C’est le cœur chargé de regrets qu’elle s’endort le 31 mars 1204 dans sa chère abbaye de Fontevrault. Elle expirera dans son sommeil à l’âge de 82 ans, au terme d’une vie riche et mouvementée. Pas étonnant qu’avec un tel parcours de vie, elle fascina des générations et des générations d’historiens…